Il ne s’agit pas d’être bouddhiste, il s’agit avant tout d’être un bon être humain…
Sa Sainteté le Dalaï-lama
Voici un extrait d’un enseignement donné par Taï Sitou Rinpoché en octobre 1997 à Samyé Dzong Bruxelles, précisément sur la Bodhicitta ou Esprit d’Eveil
» Essayer de méditer et de mettre en pratique les méthodes du Vajrayâna qui visent à nous permettre d’atteindre l’éveil sans la Bodhicitta est une tentative bien étrange qui de surcroît n’aboutira jamais à rien.
Nous pourrions la comparer à vouloir créer une machine qui serait un bouddha. Tous nos efforts, toutes nos recherches pour créer ce robot-bouddha sont voués à l’échec car c’est tout simplement impossible.
Cela reviendrait aussi par exemple à nous efforcer de faire fonctionner toutes les parties de notre corps et de notre cerveau, à nous entraîner ainsi à devenir des bouddhas: à pure perte.
Pourtant, c’est à cela que revient la mise en pratique des méthodes du Vajrayâna, les méditations, les exercices respiratoires, les visualisations, etc, sans la Bodhicitta: à faire travailler toutes les parties de notre cerveau, convaincus que si nous parvenons à tout faire fonctionner, nous deviendrons nécessairement des bouddhas.
Cela semble, théoriquement, scientifique: quand le potentiel d’un cerveau humain est complètement utilisé, nous devons obtenir un bouddha. Loin de moi l’idée de critiquer la science, je la respecte bien évidemment. Sans la science nous ne serions pas ici ensemble ce soir: je serais toujours en train de marcher au Tibet.
De plus, sans la science, je ne serais sans doute pas en vie à ce jour: lorsque j’étais petit, je suis tombé gravement malade et c’est à la médecine allopathique que je dois d’avoir survécu. J’apprécie et je respecte la science.
Toutefois aucun moyen scientifique ne nous permettra jamais de produire un bouddha. Faire passer une décharge de 10 millions de volts dans le cerveau de quelqu’un dans l’espoir d’en faire un bouddha ne fera que détruire ce malheureux. De même, nous efforcer de faire fonctionner tous les recoins de notre cerveau sans avoir développé la Bodhicitta risque fort de nous rendre complètement fous !
La Bodhicitta est une base essentielle pour la transformation effective d’un être vivant. La véritable transformation d’un être humain dans le cas qui nous occupe.
Nous voyons dès lors toute l’importance de la Bodhhicitta qui constitue à la fois le fondement de l’éveil et la méthode pour le réaliser.
La base, la voie et le résultat
Nous avons maintenant une compréhension élémentaire de ce qu’est la Bodhicitta: nous connaissons sa signification littérale et nous savons qu’elle est importante. Approfondissons nos connaissances en étudiant le sens de la Bodhicitta selon les Soutras et les Tantras. La Bodhicitta s’y trouve très souvent expliquée en termes de Base, de Chemin et de Résultat.
1. La Bodhicitta Ultime ou la Bodhicitta de la Base
De ces trois principes, c’est en fait par le premier, la Bodhicitta de la Base, que l’on peut comprendre assez clairement et de manière approfondie ce qu’ est la Bodhicitta.
Commençons donc par la Base.
La Bodhicitta de la Base est très importante car, quoi que nous disions, nos propos doivent reposer sur une base. Sans une base, nos affirmations sont sans fondement et nous avons dès lors affaire à un complot! Sans fondement, nous tombons dans une conspiration, n’est-ce pas ? Il nous faut donc un fondement.
Lorsque je dis « Je souhaite atteindre la bouddhéité pour le bien de tous les êtres afin qu’à leur tour ils atteignent la bouddhéité », il s’agit bien là de la Bodhicitta. Ce souhait doit avoir une base. Il ne peut s’agir seulement de belles paroles. Si ce ne sont que de belles paroles dépourvues de fondement, il s’agit alors d’un complot. Il leur faut donc nécessairement une base.
Cette base est la Bodhicitta de la Base, appelée également, dans la terminologie du Mahâyâna et du Vajrayâna , la Bodhicitta Ultime , en tibétain « teundam tchang tchoub dji sem » . La Bodhicitta Ultime est donc la base. La Bodhicitta Ultime signifie que l’essence ultime de tous les êtres vivants est Bouddha.
L’essence de tous les êtres est Bouddha. En sanscrit, on utilise le terme Tathâgatagarbha, en tibétain « déwar shépé nyingpo », ce que l’on traduit en français par la « Nature de Bouddha ». La base est donc que chaque être vivant est en essence Bouddha.
Lorsque nous exprimons le voeu : « Je souhaite devenir un bouddha », en fait nous sommes déjà des bouddhas sur le plan ultime.
Sur le plan relatif, nous ne sommes pas éveillés, mais au niveau ultime, nous sommes déjà des bouddhas. De même, lorsque nous disons: « Je souhaite devenir un bouddha pour le bien de tous les êtres, afin de les aider à devenir eux aussi à leur tour des bouddhas », en fait tous les êtres sont déjà des bouddhas au niveau ultime. Ils l’ont toujours été, sans qu’ils soient déjà éveillés pour autant. Voilà donc la base: la Bodhicitta de Base ou Bodhicitta Ultime.
En utilisant d’autres mots, nous pourrions dire que chaque être vivant a un potentiel illimité, que chaque être vivant est parfait au niveau ultime. Nous pouvons certes utiliser de telles expressions, mais la véritable signification de la Bodhicitta Ultime, c’est la Nature de Bouddha.
Les choses peuvent parfois sembler bien compliquées, mais si nous nous détendons vraiment, si nous cessons de nous exciter, cela devient fort simple. Si nous nous détendons et restons juste tels quels, sans ressasser le passé, sans anticiper le futur, si nous demeurons simplement détendus et en paix dans l’instant présent comme l’a enseigné le Bouddha, nous sommes plutôt bons. Mais oui ! Si nous lui laissons la chance de se manifester, l’aspect positif de nous-mêmes va apparaître et, sans dire pour autant que nous allons nous manifester immédiatement en tant que bouddhas, nous serons bien meilleurs qu’autrement, ce qui prouve bien que notre essence la plus profonde est bonne et positive. Ne me faites pas dire que je vous conseille de ne plus faire de plans pour le futur ou de ne plus penser au passé ! Ce que je veux dire c’est que si vous consacrez quotidiennement 15 ou 30 minutes pour vous détendre et demeurer en paix, votre véritable essence, un peu de votre véritable essence, va se mettre à fonctionner. Bien sûr, elle fonctionne en permanence mais parfois ce fonctionnement reste mystérieux.
Donc, si nous laissons à notre Nature de Bouddha la chance de se manifester en nous accordant une séance quotidienne de méditation (car c’est en fait ce que l’on appelle la méditation), notre vraie « couleur » ou, pour être plus juste, notre vraie nature va effectivement se manifester. Or il n’y a rien d’autre en nous que du bon. Plus profondément nous l’explorons, plus nous atteignons notre nature profonde, meilleure elle apparaît. En effet, l’essence ultime de tout être est Bouddha. L’essence ultime de tout être est parfaite et sans limites. Voilà la définition simple de la Nature de Bouddha, de la Bodhicitta Ultime.
Vous pouvez considérer n’importe qui, vous pouvez vous considérer vous- mêmes, ou même penser à quelqu’un de vraiment négatif. Nous avons tous quelqu’un que nous considérons, historiquement parlant, comme le prototype de la personne la plus négative. Les tibétains ont de telles personnes et vous devez certainement également en avoir. Pensez à cette personne et posez-vous la question: « cette personne est-elle mauvaise et malfaisante à un niveau ultime ? »
Résolument pas ! Certes, elle est malfaisante – je ne citerai pas de nom mais je crois que vous pouvez imaginer qui j’ai en tête et je devine également à qui vous pensez, historiquement parlant. Et certes, de telles personnes sont négatives, de telles personnes sont mauvaises, malfaisantes, c’est vrai. Mais sont-elles mauvaises au niveau ultime ? Impossible ! Tant de circonstances ont rendu ces personnes mauvaises. Elles auraient sans doute pu contrôler leurs tendances négatives, mais elles ont choisi le mal. Ce n’est peut-être pas vrai pour toutes, mais nous voyons clairement, en lisant les livres d’histoire, que ce fut le cas pour la plupart d’entre elles.
Pourtant, au plus profond d’elles-mêmes, ces personnes sont Bouddha. Si une telle personne pouvait se calmer et, sans revenir au passé ni penser au futur, laisser son essence la plus profonde se manifester, elle aurait bien plus qu’une chance de devenir un être humain bon, compatissant, parfait – au point de pouvoir se manifester comme un bouddha.
L’essence ultime des êtres malfaisants n’est pas mauvaise. La manifestation relative de tels êtres est malfaisante et ce pour tant de raisons. L’ampleur du mal qu’ils génèrent peut varier. Certains font le mal sur une vaste et terrible échelle, d’autres sont nuisibles avec une ampleur moindre, mais quoi qu’il en soit, leur essence n’est pas mauvaise et cette essence peut être éveillée. Ils peuvent changer, ils peuvent s’améliorer. Il n’y a pas le moindre être vivant qui ne puisse se transformer.
C’est ce qu’on appelle la Bodhicitta de la Base, ou la Bodhicitta Ultime.
La Bodhicitta Ultime existe, elle est la base grâce à laquelle notre souhait « Puis-je atteindre la bouddhéité pour le bien de tous les êtres afin qu’ils atteignent à leur tour la bouddhéité n’est pas un complot. C’est cette base qui authentifie notre démarche, qui lui donne une base, un fondement.
2. La Bodhicitta relative ou la Bodhicitta de la voie
La Bodhicitta relative est la voie. La Bodhicitta de la Base est la Bodhicitta ultime, ce qui signifie que la Bodhicitta relative est la voie. La Bodhicitta relative est fort simple. Si la Bodhicitta ultime est notre essence même, cette essence ne se manifeste pourtant pas facilement. Nous comporter de manière positive nécessite de notre part un effort certain, alors que nous montrer négatifs ne nous pose pas le moindre problème. Nous n’avons pas à nous forcer beaucoup pour devenir des drogués ou des alcooliques, cela se fait très facilement.
Par contre, nous devrons travailler dur pour nous désintoxiquer ou nous défaire de n’importe quelle mauvaise habitude, cela ne se fera pas tout seul. Il ne devrait sans doute ~ pas en être ainsi, mais si tomber dans une mauvaise habitude est facile, en sortir n’est pas chose aisée. Pourquoi?
Parce que nous sommes restés longtemps dans ce genre de « voisinage », le voisinage de la négativité. Vie après vie, nous nous sommes laissés aller avec une complaisance excessive à suivre le cours de nos pensées discursives et de nos souillures. C’est notre propre choix, notre propre faute, ce n’est celle de personne d’autre. Nous avons passé beaucoup de temps et consacré tant d’énergie pour nous confectionner une camisole de force, et voilà que nous la portons maintenant ! C’est notre oeuvre, personne d’autre ne l’a faite pour nous, c’est ainsi…
Bien que la Bodhicitta ultime soit une chose si précieuse, la Bodhicitta relative nécessite des efforts. Nous pourrions définir ainsi la Bodhicitta ultime et la Bodhicitta relative: nous n’avons rien à faire quand il s’agit de la Bodhicitta ultime, elle est toujours présente, par contre il nous faut développer la Bodhicitta relative. Le chemin du Bodhisattva, la voie de la Bodhicitta est donc la Bodhicitta relative. La Bodhicitta relative comprend toutes les voies et les méthodes que l’on applique pour réaliser la Bodhicitta ultime. La Bodhicitta relative a pour point de départ l’aspiration mentionnée précédemment et elle est ensuite renforcée, développée et approfondie de différentes manières, grâce à différentes méthodes, comme les « 4 pensées illimitées », les « six Pâramitâs », la méditation, les prières, etc.
En développant les quatre pensées illimitées qui sont la compassion, la bonté aimante, la joie et l’impartialité illimitées, par les six pâramitâs, la méditation, les prières, les activités du corps, de la parole et de l’esprit, nous mettons en pratique notre aspiration à devenir un jour des Bouddhas pour le bien de tous les êtres. Toutes ces méthodes sont la Bodhicitta relative, la mise en pratique de la Bodhicitta, la voie de la Bodhicitta. »