
Bouddhiste depuis plus de 30 ans, Lama Lhundroup est enseignant, « Droupeun » (dirigeant de retraite de trois ans) et traducteur de textes Tibétains au monastère de « Dhagpo Kundreul Ling » en Dordogne. Médecin de formation il anime également des groupes de discussions entre Lamas et Psychologues.
Est-ce que la relation de couple peut apporter une aide au chemin d’éveil ?
Oui, elle peut même apporter une aide importante, mais cela dépend de quelle manière la relation est vécue. Si dans une relation de couple quelqu’un se sert réellement du Dharma et se libère ainsi peu à peu de ses tendances égocentriques, les expériences très diversifiées d’une liaison peuvent apporter beaucoup au chemin du Dharma. Sur le chemin de l’éveil il ne s’agit de rien d’autre que de travailler avec tous nos attachements et de les dissoudre petit à petit. Normalement, les couples n’ont pas pour objectif de dissoudre l’attachement mutuel, car les partenaires ont peur que cela provoque la fin de leur relation. Nous oublions pourtant que la dissolution des attachements, dit l’attachement égocentrique, est toujours liée à la manifestation des qualités telles l’amour, la sagesse, la compassion, l’humour, le courage, la joie, la patience, la générosité, etc.. Dans la perspective du dharma, nous pouvons utiliser la relation de couple comme un terrain parfaitement adapté pour l’entraînement dans ces qualités. La relation fait surgir beaucoup d’émotions, elle est en tous points un défi considérable. Se mettre sur le chemin vers l’éveil veut dire que nous nous servons, si possible, des émotions de chaque situation vécue pour travailler avec elles et devenir ainsi plus libres.
Somme toute, les problèmes que rencontrent les couples sont constamment les mêmes ; et qui plus est, les solutions demandent presque toujours la même attitude de base : se détendre et s’ouvrir. Mais en cas isolé chaque couple et chaque partenaire sont à une autre étape de son évolution. C’est pourquoi les couples peuvent retirer beaucoup des enseignements généraux du Dharma. Cependant, il faut qu’ils regardent toujours précisément ce qui est adapté à leur besoin actuel.
Quels sont les problèmes typiques d’un couple du point de vue du Dharma ?
En ce qui concerne le Dharma, c’est assez radical. Il ne fait pas de différence entre les problèmes d’un couple et ceux du pratiquant individuel. Le véritable problème est l’attachement à un égo et aux émotions qui en résultent telles l’avidité, la colère, l’orgueil et la jalousie.
De cette saisie fondamentale d’un ‘je’ ou ‘moi’ s’écoulent les problèmes multiples et très nuancés, jouant un rôle dans les relations de couple : cela commence avec une idéalisation du partenaire et une attente irréaliste au sujet de la relation et du partenaire, qui mène obligatoirement aux désillusions. Nous ne pouvons pas être tout pour notre partenaire, et le partenaire ne sera jamais tout pour nous. Il n’est pas possible qu’un être humain comble tous nos espoirs et souhaits. En plus, nous n’avons pas seulement des espoirs complètement exagérés, nous avons également des peurs excessives. A cause de nos attachements, souhaits et peurs, nous commençons alors souvent à vouloir changer notre partenaire. Nous voulons qu’il ou elle corresponde à nos souhaits et ne touche pas à nos peurs.
Nous ne pouvons pas laisser l’autre simplement tel qu’il est. Cette incapacité d’accepter l’autre pleinement tel qu’il est mène à des manipulations subtiles, nous voulons l’adapter à nos idées. Mais il ou elle essaye de se soustraire à ces accès de manipulation et se défend ; et c’est ainsi que l’on arrive facilement à des rapports de force, subtils ou évidents, dans le couple. Cela ne veut pas dire qu’il faut absolument approuver notre partenaire tel qu’il est. Il y a des comportements qui sont tout à fait inacceptables. Mais nous pouvons expliquer clairement ce qui nous ne plaît pas et laisser le choix au partenaire lui-même, de changer ou non. Nous pouvons exprimer ce qui nous met mal à l’aise ; cela est possible dans une discussion ouverte. En plus il n’est même pas requis d’éviter une dispute à tout prix. Le plus important est que les émotions soient clairement exprimées et que l’on ne s’égare pas dans une guerre souterraine pleine de déception et de rancune. Il est entièrement possible de s’accabler dans une relation, durant ses discussions franches. Cela demande courage et confiance, car il y a la peur de rompre. Cependant à travers de telles explications nous nous développons pour aboutir à une relation dynamique qui peut continuellement évoluer. Si, au contraire, nous cachons nos sentiments et nous empêtrons dans des reproches, nous commençons à regarder l’autre avec un oeil de plus en plus critique et découvrirons de plus en plus de côtés présumés négatifs chez lui. Nous glissons de l’idéalisation de la relation de départ vers une sombre vision négative. Le nuage rose de notre projection amoureuse se dissout, l’attachement se transforme en aversion.
L’amour mutuel au sein d’un couple ne reste-t-il pas plus fort que celui envers les autres humains ?
L’amour disparaît si nous voulons le retenir, mais il se laisse découvrir lorsque nous nous ouvrons. L’amour véritable est désintéressé, il ne veut rien pour soi. Il donne sans attendre quoi que ce soit en retour. L’amour sert les autres en toute liberté. Il est comme une main tendue qui porte et donne. Et on ne la retire pas parce que l’autre n’est pas tel que nous l’espérions et ne nous donne pas ce que nous attendions. L’amour nous transforme. Il nous aide à nous ouvrir à nos douleurs et à nos confusions. L’amour demande du courage et de la persévérance. Il nous permet de supporter les moments où nous sommes complètement perdus. Il nous permet d’abandonner notre territoire et de lâcher nos attentes. L’amour nous rend curieux, il s’intéresse à l’autre, à sa vie intérieure. L’intensité de l’ouverture, pleine d’amour, envers un partenaire intime, est une aide qui permet de plus en plus d’ouverture envers les autres êtres. Un tel amour donne de la force et de l’inspiration à tous ceux qui entrent en contact avec nous.
Qu’est-ce qui soude le couple ?
Nous commençons réellement à apprécier la relation de couple car nous voyons quelle aide importante notre ami(e) représente. Il est un bon miroir, un maître, une aide au développement de la vigilance. Naturellement, la relation nous donne aussi une identité, un chez-soi, un espace protégé. Une relation profonde s’avère stabilisante pour l’évolution intérieure. Des gens qui partagent leur vie pendant longtemps ont souvent le souhait de vieillir ensemble afin de pouvoir s’occuper l’un de l’autre quand ils seront vieux. Ils savent qu’ils ne pourraient pas faire des expériences vraiment nouvelles avec d’autres partenaires, et que changer de partenaire n’éviterait pas de travailler sur les mêmes points que ceux qui se présentent dans leur relation actuelle. Si nous voulons vraiment vivre une relation vivante et engagée il n’y a aucune raison de chercher ailleurs.
Quel rôle joue la sexualité dans une telle relation ?
La sexualité ne se trouve pas au premier rang. Elle est simplement un des moyen qui permettent la communication et une profonde ouverture. Cette ouverture devient plus importante que l’union sexuelle elle-même. Nous ne devons pas penser que des difficultés sur le plan sexuel sont automatiquement le signe d’un manque d’amour – ce qui compte est l’ouverture du coeur et une vraie communication. Et pour cela nous devons nous laisser beaucoup de temps et d’espace.
La manière dont les femmes et les hommes vivent les situations et les traitent restent différente pendant longtemps. Les enseignements tantriques disent que les femmes portent l’homme en elles et les hommes la femme en eux. A travers la pratique de l’ouverture intérieure nous trouvons l’accès à cette autre partie en nous. L’homme découvre la féminité et le maternel en lui et la femme le masculin et le paternel en elle. Les relations peuvent faciliter ce processus mais aussi le freiner. Cela dépend de l’individu. Au fond, tout est très simple : nous devons toujours pratiquer le lâcher-prise et toujours suivre l’amour. La pratique du Dharma implique de ne pas se compliquer la vie avec des théories, mais de rester, autant que possible, simples et ouverts. L’expérience démontre que les relations de couple peuvent y être d’une aide importante mais elles ne sont pas indispensables.
Les avantages présumés d’une relation de couple en comparaison à une vie de célibataire ?
Un avantage très important est d’avoir dans le partenaire un beau miroir pour nos émotions, ainsi que beaucoup d’occasions pour un échange profond où nous sommes obligés de dépasser nos limites. Nous accédons à nos émotions et à nos limites et apprenons à mieux nous connaître. Comme partenaires nous pouvons nous entraîner sans cesse à accepter et à donner ; il y a toujours des situations qui nous défient et nous donnent la possibilité de développer des qualités. Une relation peut également permettre d’équilibrer des états émotionnels fortement critiques. En sus, une relation pleine d’amour nous procure de la chaleur humaine et de l’affection, indispensables pour une évolution harmonieuse. Elle apporte sécurité et stabilité et les moyens pour développer de la confiance en nous-mêmes et dans les autres. Un partenaire peut nous aider de nous détendre dans des situations difficiles et de lâcher. Nous avons la possibilité de faire connaissance avec le monde de l’autre, d’apprendre à nous confier à quelqu’un et à partager notre monde. Notre compréhension pour les autres croît et nous devenons plus réalistes.
Quels sont les inconvénients éventuels ?
Une relation de couple peut nourrir notre attachement. Au lieu de dissoudre nos fixations, elle peut renforcer la saisie d’un « moi » et d’un « toi ». Un partenaire peut facilement être utilisé pour fuir devant soi-même et pour se distraire. Cela peut empêcher que nous prenions conscience de nous-mêmes. Si nous cherchons en permanence nos points de référence à l’extérieur, la relation renforcera notre manque d’indépendance. Si une relation est difficile à vivre et s’il y a souvent des disputes, cela engendre une forte accumulation de karma négatif. En ce qui concerne l’activité, habituellement, les partenaires vivant en relations de couple n’ont pas beaucoup de temps pour les autres gens, parce qu’il faut entretenir la relation, et que cela demande du temps. Cependant si les partenaires se laissent beaucoup d’espace et façonnent leurs vies simplement, il reste suffisamment de temps pour les autres.
Qu’est-ce qui change pour le couple quand il y a des enfants ?
L’engagement en vue d’une stabilité de la relation devient extrêmement important. Les enfants ont besoin, dans la mesure du possible, de deux parents, et cela à long terme. Dès qu’il y a des enfants, la question du mariage se pose, vu que les enfants ont besoin du cadre le plus stable possible d’une relation.
Autrement, la stabilité est-elle de moindre importance ?
Un couple qui reste lié pendant longtemps, s’entraîne à traverser des difficultés et découvre des nouveaux espaces d’amour, qui restent cachés si l’on change souvent de partenaire. Rester ensemble est la plupart de temps la décision la plus sage mais pas toujours. Il s’agit de ne pas créer de nouvelles souffrances et de se libérer des conditionnements bien ancrés. Parfois il vaut mieux mettre un terme à une relation. Seulement, les conditionnements ne se délient pas parce qu’on change de partenaire – jamais. Changer de partenaire peut à la limite donner la possibilité de recommencer dans de meilleures circonstances.
Pour rester ensemble, un couple doit avoir maintenu la confiance mutuelle à un certain degré, les blessures ne doivent pas être trop profondes, des coups supplémentaires sont à éviter, si possible. Avant de commencer une nouvelle relation, l’ancienne doit être clôturée afin d’éviter les douleurs et le chaos. Aussi faut-il prendre en compte l’âge et la maturité des enfants.
En premier lieu, il s’agit de mener sa vie avec une vigilance fondamentale, de développer plus d’ouverture et de tolérance, d’écouter, d’échanger, de découvrir l’amour, de se détendre, etc. Il s’agit également d’accepter la solitude dans la relation de couple, de ne pas estomper l’ennui qui se manifeste de temps à autre, de développer le courage d’être honnête. Il y a là un travail considérable à fournir, qui conduit graduellement à un démantèlement de la saisie égotique.
En fin de compte, le travail à fournir dans une relation de couple revient exactement au même que celui à faire dans la méditation. C’est pourquoi il est bien plus utile pour un couple si les deux méditent. La méditation nous aide à nous détendre et à traverser les moments de solitude et d’ennui. Elle nous ouvre de nouveaux espaces à la compréhension et fait connaître une nouvelle approche de soi même et des autres. Nous ne nous reposons pas en permanence sur l’autre, ce qui déleste la relation. Les deux partenaires deviennent plus autonomes à travers la méditation. Ils ne cherchent plus à l’extérieur ce que l’on trouve à l’intérieur.
Qu’est-ce qu’un couple peut faire pour vivre en harmonie ?
Comme déjà dit, une telle relation demande à être entretenue, au mieux tous les jours. Cela prend pas mal de temps, du temps de ‘bonne qualité’ – ne pas seulement être assis ensemble à table, mais un échange profond. Cela exige des conversations, de l’intérêt à la vie intérieure du partenaire, des intérêts communs et l’envie d’entreprendre des choses ensemble, parfois aussi sans enfants ou amis. Un couple a besoin de contacts à l’extérieur qui sont stimulants, dynamisants. Tous ces conseils, un psychologue les donnerait également. Parallèlement, les deux partenaires doivent prendre soin de leur autonomie, de leur indépendance intérieure. Beaucoup de conflits surgissent parce que nous sommes devenus dépendants, et, sans nous rendre compte, nous luttons pour retrouver notre autonomie intérieure. Celui qui a réellement trouvé son indépendance intérieure perd cette appréhension d’être exploité ou manipulé par les autres. Il oublie la peur d’exprimer ses émotions parce qu’il n’est pas tourmenté par la crainte de perdre l’autre. Peut-être pouvons-nous dire, que d’être capable d’aimer réellement nécessite une certaine dose d’autonomie. Il nous faut apprendre à nous accepter nous-mêmes ainsi que les autres et à laisser de l’espace. Plus nous rentrons profondément dans la pratique de la détente et du lâcher-prise, plus nos relations deviennent simples. Nous devrons faire l’effort de développer un intérêt véritable pour l’autre et de nous prendre pour moins important que lui. L’intérêt signifie regarder et écouter vraiment. L’intérêt véritable crée l’ouverture en nous. En même temps une certaine qualité de complaisance est requise – il nous faut apprendre à tenir les engagements que nous avons pris ensemble. C’est par là que s’amplifie la confiance et naît une plus grande ouverture. Une relation de couple réclame le courage de deux partenaires afin d’affronter les difficultés immédiatement, de préférence le jour même, pour qu’aucune rancune ne puisse s’introduire. Si nous n’arrivons pas à gérer nos difficultés tout seul, nous ne devrions pas avoir de gêne à chercher rapidement de l’aide, chez des amis, par exemple, ou éventuellement chez un thérapeute. L’orgueil ne doit pas nous en empêcher.
Les thérapeutes peuvent-ils apporter de l’aide à un couple ?
Oui, bien sûr. Il est rare qu’à long terme un couple arrive à se passer d’une aide de l’extérieur, qu’elle vienne d’amis proches, d’un Lama ou, justement, par d’un thérapeute. La thérapie, et surtout la thérapie du couple, n’implique pas du tout de se remplir la tête avec toutes sortes de concepts. Dans notre société actuelle, les thérapeutes sont devenus un genre « d’Ersatz » des maîtres de sagesse, en partie quelque chose comme les ‘gardiens de l’esprit sain’ de l’humanité qui se perd facilement. Au cours de leur formation, ils s’occupent intensivement de trouver des moyens pour aider eux-mêmes et les autres. Nécessairement, ils développent aussi une quantité de théories qui se laisseraient perfectionner en les comparant avec les expériences de la pratique du Dharma. Néanmoins ils sont entièrement capables de nous aider à prendre du recul face à nos problèmes, à obtenir une meilleure compréhension et à trouver une approche nouvelle. C’est là l’activité pour laquelle ils sont payés.
Qu’est-ce qui réunit un couple de nos jours ?
Les possessions, les enfants, la moralité, la société, la pression familiale, la liaison sexuelle, – tous ces facteurs perdent de plus en plus de leur influence. Le mariage en tant qu’institution a perdu sa valeur et est considéré par beaucoup comme un devoir passager et résiliable. Du point de vue de l’enseignement bouddhiste, le mariage est une affaire personnelle et mondaine du couple et se pratique suivant les coutumes du pays. Il n’existe pas de mariage consacré par un Lama bouddhiste. Le mariage n’est pas considéré comme un sacrement à l’instar de l’église catholique. Cependant, le Bouddha a mis l’accent sur le fait que la fidélité et le respect des relations de couples existantes sont des éléments très importants d’une conduite éthique et responsable. Il est important de garder les engagements et de les adapter ensemble aux situations changeantes. Il vaudrait mieux commencer par des engagements réalistes et faciles à tenir. Il ne s’agit pas de prendre des engagements héroïques que nous n’arriverons pas à tenir pendant longtemps, mais du développement graduel de la capacité de persévérer. De cette manière le couple peut évoluer vers une forme de relation que nous pourrions appeler « une relation de couple engagée », qui peut être basée sur un mariage ou non.