Par Matthieu Ricard le 23 octobre 2018
Dans la situation actuelle, l’influence des chasseurs s’étend sur la jouissance de ces espaces naturels, sur la sécurité de ceux qui souhaitent en jouir, sur la pérennité écologique de ces espaces et des espèces qui les peuplent, et finalement sur les instances gouvernementales. Comme l’explique Marc Giraud dans son excellent ouvrage Comment se promener dans les bois sans se faire tirer dessus (2) : « La surreprésentation des chasseurs dans les organismes consultés en amont de la publication des lois témoigne de cette absence de démocratie. »
Chaque année, plus de 200 millions de cartouches sont tirées dans les campagnes françaises, un quart lors de ball-traps et le reste pour la chasse. Avec une portée dangereuse de trois kilomètres, les balles perdues font peur aux chasseurs eux-mêmes. On compte en moyenne 150 à 200 blessés et une vingtaine de morts par an.
Sur les chemins publics, les chasseurs en activité demandent souvent aux promeneurs de faire demi-tour par mesure de sécurité. Ils posent des panneaux tels qu’« Attention chasse en cours », toutefois ceux-ci n’ont aucune valeur légale pour interdire la circulation. Vous pouvez donc passer — à vos risques et périls. Les citoyens qui poseraient des panneaux du genre, « Attention balade en cours », « photo de nature en cours » ou « observations ornithologiques en cours », risqueraient fort d’être la risée des chasseurs, ou pire.
La chasse serait « une nécessité pour l’écologie », comme nombre de chasseurs l’affirment, arguant de la prolifération des sangliers et des cervidés. Bien d’autres interventions, moins violentes, pourraient être envisagées dont la stérilisation des mâles dominants qui assurent la majeure partie de la reproduction. De plus, dans un milieu vraiment naturel, riche en biodiversité, les équilibres entre proies et prédateurs se stabilisent à des niveaux de densité optimaux sans qu’il soit nécessaire d’intervenir. En 1974, l’interdiction de la chasse dans le canton de Genève fut approuvée par référendum par 72 % de la population. Malgré les cris d’alarme des chasseurs, tout s’est bien passé : aujourd’hui, la faune du canton a retrouvé sa richesse et sa diversité, très appréciée par les promeneurs. Les sangliers n’ont pas envahi les terrains agricoles et leur population s’est régulée d’elle-même.
Récemment, sur la place d’un petit village où je séjournais, un dimanche matin un enfant de 5-6 ans passa près d’un groupe de chasseurs, fusil à l’épaule. Il interrogea sa mère sur les intentions de ces messieurs. Puis, il s’approcha d’eux et leur demanda avec une curiosité non feinte : « Alors, vous allez tuer ? » Un silence gêné fut la seule réponse. D’après une enquête sur leurs motivations, les chasseurs ne citent pas la recherche de nourriture, mais le contact avec la nature (99 %), la convivialité (93 %) et l’entretien des territoires (89 %) autant de buts louables en eux-mêmes qui n’exigent nullement de tuer des animaux.
Interrogé un jour à propos de la chasse, le naturaliste et explorateur Théodore Monod, avait répondu ainsi : « Que les hommes préhistoriques aient eu besoin de tuer des animaux, c’est évident. Actuellement, les Esquimaux tuent des phoques, les Bushmen des girafes, c’est nécessaire pour eux. Ils n’ont pas le choix. Mais ailleurs, c’est totalement anachronique. On ne chasse plus ici ni pour se défendre ni pour se nourrir. On chasse pour s’amuser. »
Pourtant, vingt morts inutiles chaque année n’amusent personne. Ces accidents n’amusent certainement pas les vingt millions de personnes qui hésitent à se promener dans les bois durant les périodes de chasse. Dans un tel contexte, les concessions récemment accordées aux chasseurs par le gouvernement français semblent donc non seulement anachroniques, mais singulièrement dénuées de discernement et de considération pour le sort des animaux et des citoyens.
(1) Journal Ouest France
(2) Giraud, M. (2014). Comment se promener dans les bois sans se faire tirer dessus. Allary Éditions.