D’un point de vue bouddhiste, la vie n’a ni sens ni objectif

Le Point – Publié le 21/10/2012 à 12:14 – Modifié le 22/10/2012 à 16:21

Pour le Dzogchen Ponlop Rinpoché, maître tibétain atypique : être bouddhiste au XXIe siècle, c’est d’abord être un rebelle.
Ponlop Rinpoché vit sa fonction honorifique en parfaite adéquation avec son temps.
Ponlop Rinpoché vit sa fonction honorifique en parfaite adéquation avec son temps. © Chapman-to
Propos recueillis par Catherine Barry
Depuis plus de vingt ans que je navigue dans le milieu bouddhiste, c’est la première fois que je rencontre un maître tibétain comme Ponlop Rinpoché.
Fan de rock et de séries américaines, curieux et spontané, il possède une liberté de ton inattendue, que l’on peut découvrir dans Bouddha rebelle (éditions Belfond). Ses propos font voler en éclats les représentations naïves, teintées d’un exotisme désuet, de l’Occident sur le bouddhisme. Et montrent qu’il est possible de transmettre cette tradition tout en l’affranchissant de ses ornements cultuels et culturels.
Catherine Barry : Rinpoché – littéralement « précieux » en tibétain – est un titre honorifique réservé aux grands maîtres qui se réincarnent pour poursuivre leur transmission des enseignements bouddhistes de vie en vie. Que cela signifie-t-il concrètement au XXIe siècle ?
Dzogchen Ponlop Rinpoché : Les rinpoché ont, en général, dès leur naissance un destin tout tracé. Né en Inde, ordonné moine à neuf ans, élevé dans un monastère, le mien me destinait à assurer les devoirs liés à ma charge tout en profitant des avantages liés à ma fonction. Mais, en grandissant, il m’a semblé plus juste d’explorer la pertinence de ma tradition à l’aune de la modernité, et de remettre en question mon rôle et la manière dont est transmis le bouddhisme au XXIe siècle. Il y a tellement d’idées fausses véhiculées à son propos. Je ne me situe donc pas comme un rinpoché, mais comme un enseignant du bouddhisme, toujours en apprentissage.
Quels sont les préceptes du bouddhisme qui vous semblent essentiels ?
L’amour, la bienveillance et la sagesse. Ces principes permettent de dépasser nos insuffisances humaines. Nous pouvons tous apprendre à ouvrir notre esprit et à en finir avec nos attentes vaines et illusoires. La sagesse enseigne à mettre en perspective nos pensées, nos émotions, nos croyances. Cette forme de questionnement est créatrice. Dans un contexte de crises économiques et existentielles comme celles que nous connaissons actuellement, nous devons, plus que jamais, rester curieux, en éveil, et ouvrir notre coeur à l’inconnu qui se présente. Cela, quelles que soient les circonstances.
Vous dites que, quand la souffrance est intolérable, elle peut être à l’origine d’une absolue remise en question de nos pensées…
Quand tout se passe bien, nous ne remettons pas en cause les relations que nous entretenons avec les autres. En revanche, dès que quelque chose cloche, nous commençons à douter de leur pertinence. Cela signifie que nous n’acceptons de modifier notre point de vue que lorsque nous souffrons. Le bouddhisme n’empêche pas de souffrir quand on le pratique, il nous pousse, au contraire, à nous confronter à la réalité de la souffrance, qui est indissociable de l’existence. La nier ne sert à rien. C’est ce qu’enseigne le bouddhisme : à l’accepter et à se remettre en question pour transformer le type de relation que nous entretenons avec elle. Pour cela, il montre comment mettre de la distance entre la douleur et nous en utilisant la raison. Comment éprouver un sentiment de bonté vis-à-vis de soi et de toutes les personnes concernées par la situation qui pose problème. C’est un changement radical d’attitude qui n’est ni fataliste ni masochiste, puisque ce comportement vise à ne plus subir la douleur, à ne plus s’identifier à elle. Cela s’apprend. C’est ce que j’essaye de transmettre.
La méditation est à la mode en Occident. Qu’en pensez-vous ?
En se démocratisant, le bouddhisme s’est aseptisé. En Occident, il est souvent associé à une thérapie, et non plus à une spiritualité. Ce qui est une hérésie pour les Asiatiques. Cela dit, la méditation présente de nombreux aspects et permet d’acquérir une meilleure connaissance de soi, qui aide à aller mieux, à être moins stressé et moins angoissé.
Quel est le sens de la vie, selon vous ?
D’un point de vue bouddhiste, la vie n’a ni sens ni objectif. Je sais bien que cette réponse, abrupte, risque de choquer vos lecteurs, mais, pour moi, elle est évidente et pragmatique. Elle prend en compte la réalité de l’impermanence, le fait que rien n’existe en soi, que rien ne dure, que tout change sans cesse. L’accepter m’autorise à me montrer lucide et m’empêche d’adhérer, une fois pour toutes, à des concepts et à des idées préconçues. Si nous considérons que nous naissons pour suivre des objectifs précis, nous sommes emprisonnés dans des schémas, des directions. C’est contraignant, sclérosant. Il est préférable de créer les buts que nous nous fixons au fur et à mesure que nous évoluons. Nous possédons tous la liberté de le faire. Le savoir nous encourage à devenir autonomes, à nous déconditionner de notre éducation, de nos peurs, de nos habitudes. Cela demande du courage, de faire preuve de discernement et de patience. Mais procéder ainsi, c’est vivre en cohérence avec la loi de l’impermanence. Tout bouge constamment. Le sens que nous donnons aux choses aussi.
Votre définition du bonheur ?
Nous courons tous après, mais c’est quelque chose qui demeure très mystérieux à mes yeux. Trop souvent, notre conception de ce que nous nommons, communément, le bonheur dépend de nos états mentaux, et de nos conditions extérieures et intérieures. Le bonheur authentique naît et réside dans notre esprit. C’est un sentiment de contentement, de plénitude, qui se découvre en questionnant sans cesse, avec enthousiasme et curiosité, ce que nous expérimentons. La plupart des gens ne sont pas heureux, car ils veulent posséder le bonheur, alors qu’il ne se consomme pas. Découvrir sa saveur suppose de faire preuve de persévérance, de discipline, de vigilance, de développer la conscience du moment présent, et de connaître la loi de cause à effet. Ce n’est qu’ainsi que, peu à peu, cet état de sérénité et de paix intérieure que l’on nomme bonheur devient stable. Nous sommes responsables du monde dans lequel nous vivons.
Le titre de votre livre : Bouddha rebelle est provocant. Sommes-nous tous des bouddhas rebelles en puissance ?
Oui. Le Bouddha nous a enseigné il y a plus de 2 500 ans à remettre en question nos croyances. Cette forme de révolution intérieure, dirigée contre nos pensées et nos émotions, est destinée à nous permettre de découvrir qui nous sommes vraiment. Ce qui implique de prendre le risque de mieux se connaître, de laisser tomber les masques sociaux qui nous déterminent et nous spécifient. Le message essentiel du Bouddha rebelle est pour moi : comment devenir un être humain libre et responsable ? Cette exploration de la réalité, vers la liberté, est passionnante et amusante. C’est un voyage plein de surprises. Quand on avance, une sensation d’espace, de joie tranquille et d’ouverture grandit et s’épanouit en nous. Ce cheminement reste sans aucun doute l’une des dernières grandes aventures de notre époque.
Source : lepoint.fr

18 réflexions sur « D’un point de vue bouddhiste, la vie n’a ni sens ni objectif »

    1. Oui Elisabeth, je pense aussi que le bouddhisme est beaucoup plus simple qu’on veuille le penser, si on y enlève tout l’aspect lourd des concepts et certaines pratiques, ça reste une question de bon sens et de bienveillance envers les autres, ce qui constitue la base d’un être « humain » 😉

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  1. Merci pour ce partage. 🙂
    J’aime beaucoup cet entretien, où tout est quasiment dit, bien qu’il soit fort court 😉
    Il me conforte dans ce que je pense et ressens à propos du bouddhisme depuis très longtemps 🙂

    Cette phrase  » Nous sommes responsables du monde dans lequel nous vivons. » fait actuellement plus que sens.
    « Bouddha rebelle » j’adore cette expression. 😀

    PS- je me le mets en favoris et je me l’enregistre aussi;)

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  2. rebelle pour être éveillé à d’autres concepts de vie hors des dictas de nos sociétés modernes. le bouddhisme a la particularité selon moi de nous mettre face à nos propres travers. pour chaque action il y a une réaction. très intéressant ce dialogue qui remet les pendules à l’heure.

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  3. Le témoignage de Dzogchen Ponlop Rinpoché est certes séduisant par sa simplicité, avec le côté rebelle très romantique, mais que nous sommes loin de Bouddha ! A l’évidence, il est dans la même confusion que nous : il ne sait rien, il a donc ses croyances, ses opinions, ses principes. Je rappelle que le Bouddha n’est pas le fondateur du Bouddhisme (le Bouddhisme lui est postérieur), qu’à la suite d’une crise existentielle qui l’a mené au bord du désespoir, il a été libéré vivant : cela veut dire qu’il a vécu un eurêka existentiel qui a éteint toute souffrance et tout questionnement en lui. Et en cela, il était un vrai maître : il ne croyait pas, il SAVAIT et il pouvait ainsi vraiment aider les hommes à se libérer du cercle vicieux de l’illusion et de la souffrance. On peut toujours mettre la barre moins haut pour considérer tel ou tel comme maître, comme référent spirituel, mais alors, c’est un aveugle qui est conduit par un autre aveugle. Comparons donc à Nisargadatta ou à Krishnamurti le témoignage de Dzogchen Ponlop Rinpoché : nous verrons la différence, et si nous en avons vraiment assez de souffrir, alors, nous nous tournerons vers ceux qui savent vraiment.

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    1. Le eurêka de Shakiamuni est la VUE de l’enchaînement des causes et des effets dans l’expérience perceptive de chaque instant.Cette vue tranche à la racine la pensée MOI et toutes les souffrances qui accompagnent cette fabrication.
      L’attention à chaque instant permet de VOIR les intentions cachées derrière nos actions…ceci entraîne cela qui entraîne ceci qui entraîne cela etc…
      La sensation de froid entraîne le désir de chaud qui entraîne le mouvement du corps qui se dirige vers le pull…juste une réaction en chaîne impersonnelle,mais le manque d’attention à tout ça nous fait dire INCONSCIEMMENT:J’ai froid,j’ai envie de me réchauffer,je me lève etc…je.je.je.je…là où il n’y a RIEN!

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  4. C’est terrible de voir dans le Bouddhisme des choses aberrantes et d’oublier l’enseignement originel,disponible là maintenant quand vous lisez ces lignes…la vacuité en action,personne qui lit…personne qui entend…et pourtant lecture,audition!

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